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François Cavanna

("Lire" décembre 1996/Janvier 1997)



Mon amour des animaux, c'est, j'en suis sûr, pour une grande part à Benjamin Rabier que je le dois. J'étais bien petit, je ne savais pas lire, quand le père Noël déposa dans mes galoches deux albums de Rabier, dont un Gédéon. J'ai tout de suite été captivé, que dis-je : happé ! Je n'étais pas celui qui regarde les images du dehors. J'étais dans l'image. J'étais un de ces petits lapins, un de ces petits canards, qui gambadaient dans la forêt ou nageaient en famille sur la mare. J'étais, comme chacun d'eux, heureux, sans soucis, bien au chaud, tout à fait chez moi parmi les animaux de la ferme et des champs, du plus gros au plus menu, qui les entouraient, le mufle ou le museau épanoui en ce fameux rire qui fit la fortune d'une crème de gruyère.
Ce plaisir, ce bonheur, je les retrouve intacts dès que j'ouvre un Gédéon (albums réédités par les éditions Hoëbeke). Même si j'en vois les ficelles, je me laisse aller. Benjamin Rabier est un prodigieux dessinateur animalier. Non que son dessin soit particulièrement habile, mais il a cette audace du trait qui s'impose comme seule vraie. J'ai été surpris, par la suite, de découvrir que les animaux n'étaient pas toujours absolument conformes au modèle "rabiérien". Je trouvais que la nature avait tord. Un lapin se devait d'être tel que dessiné par Rabier. Une vache qui n'était pas une "Vache qui Rit" n'était pas une vraie vache. Rabier rectifiait la nature dans le sens de la grâce mutine, de la bonhomie souriante.
Surtout, notre Benjamin savait faire rire les animaux ! Avant lui, on ne savait pas, ou l'on osait pas. Rien de stéréotypé dans ce rire. Nous avons tous en tête, bien sûr, le fameux rire de la vache. Mais chacun a le sien, bien à lui. Voyez le fin sourire des lapins, voyez le demi-rire sagace du chien... Et tous les autres !
Ce qui, par dessus tout, me fascina longtemps, enfant, c'étaient ces grands dessins pleine page que Rabier aimait semer dans ses albums, véritables tableaux où une foule d'animaux de toutes sortes est rassemblée, pour se réjouir d'un bon tour ou pour fêter quelque victoire de Gédéon sur les méchants. Une telle gaité irradiait de ces pages charmantes que je ne me lassais pas de passer en revue tous les sourires.
Il me semble que Rabier est le premier à avoir osé ce dessin épuré, ce dessin-silhouette oú l'essentiel est dans le trait qui cerne les contours du sujet. Un précurseur, en somme, de ce que sera la "ligne claire" des émules d'Hergé.
Les histoires sont naïves, la morale toujours vigilante, le châtiment parfois cruel, le texte d'accompagnement réduit à l'essentiel. En fait, on pourrait fort bien se dispenser de lire ce texte, qui ne fait que raconter l'image, sans presque y ajouter de commentaire. Mais, justement, pour l'enfant qui commence à déchiffrer les caractères imprimés, ces mots qui répètent et confirment ce qu'il a vu sont un excellent stimulant pour l'inciter à la lecture.




François Cavanna


 

 

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