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Guillaume APOLLINAIRE
(préface au catalogue du Salon du Peuple 1910)
Avant de connaître Benjamin Rabier, je pensais qu'il fût bossu comme Ésope et distrait comme La Fontaine. Il n'est ni l'un ni l'autre. Ces défauts, utiles à des gens de lettres, comme le furent et l'esclave de Xanthus et l'ami du surintendant Fouquet, seraient fort gênants pour un dessinateur. La sveltesse de Benjamin Rabier n'est déparée par aucune gibbosité dorsale. Ses distractions les plus vives sont d'étudier les physionomies et les gestes de tous les animaux depuis ceux que l'on appelle inférieurs, jusqu'à l'homme et l'autobus, cet animal supérieur entre tous. Au demeurant, malgré des différences très marquées, l'artiste qui nous occupe rappelle par plus d'un trait les deux fabulistes et avant tout parceque, s'ils écrivaient des fables, lui en dessine. On m'a affirmé - mais l'on affirme tant de choses - que Benjamin Rabier avait un chien dont il entendait merveilleusement le langage. Cette bête d'une intelligence rare se serait donné la tâche, paraît-il, de recueillir parmi les chiens ses amis et de rapporter à son maître une foule d'histoires plus extraordinaires les unes que les autres sur les bonshommes de neige, sur Azor, sur Médor ou Briffaut, sur ma mère l'oye, sur Jeannot lapin et même sur Chanteclerc... M'a-t-on dit la vérité ?... Il est certain que nul mieux que Benjamin Rabier ne paraît au courant de ce qui se passe chez les animaux, nul n'a dessiné et ne dessine de plus amusante façon les scènes de leur vie quasi humaine... C'est avec un vif intérêt que le public regardera cette première exposition d'aquarelles du plus spirituel de nos animaliers.
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